Jeudi 22 octobre, 19h, la nuit est tombée depuis quelques heures. Notre petite équipe de Rhumattisant(e)s se retrouve dans le sas de départ du Grand Raid après avoir passé les contrôles de sacs obligatoires. Il va falloir patienter quelques heures en musique avant de s’élancer sur les 163 kms et 9920 m de dénivelé positif (pour autant de négatif). Quelques minutes avant le départ, une petite pluie tropicale s’invite à la fête et nous rafraîchit bien comme il faut. Tous les raiders amateurs s’activent pour sortir leurs petites vestes, alors que les « pros » se mettent à l’abri sous la tente où est stocké le matériel des musiciens.
21h58, après un petit sprint pour bien se placer derrière la ligne de départ, et des mois d’attente et de préparation, le départ de la Diagonale des Fous 2015 est « enfin » donné.
Je pars tranquillement avec Karl, mon jumeau à la barbe de 3 jours, nous restons sur le côté droit de la route pour pouvoir apercevoir Katia et Myriam postées un peu plus loin. L’ambiance est exceptionnelle, il y a du monde partout sur des kms. Je perds Karl de vue rapidement dans la foule de coureurs. La course débute par une longue montée de 40 kms, ponctuée de quelques petites descentes. Nous traversons des villages, des champs de canne à sucre et les 1ers postes de ravitaillements où les bénévoles sont à nos petits soins. Je rattrape Lætitia et HP, nous restons ensemble quelques mn et partageons nos 1ères impressions. Un peu plus loin, je fais du sur-place pendant 1 heure dans un passage étroit et technique. Pas de grosses difficultés dans cette montée, j’alterne course et marche assez facilement. La nuit noire permet d’apercevoir par moment, au loin, les rougeoiements du volcan entré en éruption dans l’après-midi.
J’arrive à Piton Textor au petit matin, le jour est déjà levé. J’attaque la descente vers Marre à Boue motivé, serein, mais je me déconcentre quelques secondes en discutant du temps frais en ce moment à Nantes avec un réunionnais. Mon genou gauche percute violemment un rocher. Je me rattrape comme je peux sur des fils barbelés, que j’avais pourtant bien repérés, en me disant qu’il fallait faire attention. J’ai la main en sang, 3 doigts un peu abîmés, mais j’ai heureusement eu la bonne idée d’emporter 3 compresses imbibées de désinfectant dans mon sac. Un peu d’élasto, mon couteau suisse et 1/4h suffisent pour réparer tout ça et repartir tranquillement. Le terrain est parfois un peu boueux et surtout très technique, mais je file un bon train. J’assure dans la descente vers Cilaos pour passer quelques passages dangereux ! J’entre dans le stade accompagné par le speaker qui annonce mon arrivée. Je vais pouvoir me laver les jambes, me changer, me reposer 20 mn et me restaurer. Je retrouve Katia – qui vient de parcourir la route aux 400 virages – dans les tribunes. Voilà qui fait bien plaisir ! Fredo « Dodo » arrivé 10mn après moi, repart 10 mn avant, en me disant « à tout à l’heure, tu vas me rattraper, tu vas plus vite que moi ». Je ne le reverrai plus ! HP et Lætitia entrent dans le stade au moment où je le quitte, Karl n’est pas très loin, Lucien est déjà loin devant !
La sortie de Cilaos commence par une longue descente, puis par la traversée d’une rivière, avant d’attaquer la longue montée vers le Col du Taïbit qui marque l’entrée dans le cirque de Mafate. C’est raide, mais je monte sur un rythme régulier. Je ne peux pas résister à faire la petite pause « tisane / musique » proposée par des locaux au milieu de cette belle côte ! En haut du col, mon téléphone me lâche. Puis c’est la descente vers Marla, 1er îlet où est installé un poste de ravitaillement. La nuit tombant et la fatigue commençant à se faire sentir, j’essaie de dormir mais il fait trop froid et il y a de l’humidité dans l’air. Je repars, je verrai plus tard. Arrivée à la Plaine des Merles quelques heures plus tard, après avoir franchi péniblement le Col des Bœufs – où il me semble bien être tombé nez à nez dans la nuit avec un bœuf (ou une vache, je n’ai pas pensé à vérifier) – je retente le coup. Je ferme les yeux 20 mn sans vraiment dormir. Il va falloir rester lucide pour faire la descente vers Îlet à Bourse en empruntant le spectaculaire Sentier Scout. Pendant ce temps là, les 1ers sont en train d’arriver ! Mais comment font-ils (elles) ? Je viens tout juste de boucler la 1ère moitié du parcours et le plus dur reste à faire. J’essaie de nouveau de dormir 10 mn sur le bord du chemin, mais je n’y arrive pas car je suis trop mal installé, dans un virage pentu, je glisse !
J’arrive à Îlet à Bourse complètement épuisé. Je me roule dans ma couverture de survie et m’endort aussitôt pendant 45 mn. Il fait pourtant froid et humide ! Je pointe au réveil, frigorifié et retrouve HP et Lætitia qui viennent d’arriver. Nous repartons ensemble vers Grand Place, où mes amis décident de rester dormir un peu. Je m’engage dans une belle petite côte, où le soleil levant me permet de découvrir, de visu, le gros morceau de la journée : le Maïdo. Impressionnant mur, où je peux distinguer, tout en haut, quelques lampes frontales mouvantes. Ce sont des raideurs qui commencent à descendre. Lucien doit être de ceux là. Mais moi, j’en suis très loin… Il me faut d’abord descendre et traverser la rivière des Galets, puis monter vers Roche Plate – où la pause ravitaillement est bienvenue – et enfin attaquer la montée, très raide vers le Maïdo. Le soleil commence à taper fort au milieu de la matinée. Je marche lentement, je fais des pauses dès qu’il y a un peu d’ombre. Les organismes commencent à souffrir ! Lætitia et HP me rejoignent un peu avant l’arrivée en haut du sentier alors que je suis en train d’observer l’hélico de la télé qui nous filme. Lundi matin, ce sera notre tour de monter dans l’hélico, mais en attendant, nous avons une course à finir… Et contrairement à ce que j’avais imaginé, le plus dur n’est pas fait ! Sortie du cirque de Mafate, enfin !
Le ravitaillement de Maïdo Tête Dure se fait désirer, mais arrive à point nommé. Je mange bien et fait un brin de toilette, je repars après un stop de 45mn pour la dernière partie de la course. Dans ma tête, si je reste sur le même rythme, je pense arriver ce soir, tard. Serait-ce déjà les 1ères hallucinations dues à la fatigue ? Débute alors une très longue et fatigante descente vers le village de Sans Souci. Épuisé, lassé par cette interminable chemin poussiéreux puis fait de marches en rondins, je tente une petite pause pour reposer mon corps meurtri. Mal installé, je repars au bout de 5mn après m’être seulement massé les pieds dont j’ai l’impression qu’ils sont brisés, en morceaux.
A Sans Souci, le temps de manger 2 ou 3 crêpes, mes amis me rejoignent une nouvelle fois. Nous prenons le temps de discuter avec une bénévole. Il est un peu plus de 16h, nous imaginons pouvoir arriver vers minuit, 2h du matin maximum, mais elle nous annonce que nous ne serons probablement pas à La Redoute avant 4h au rythme où nous avançons maintenant. Encore 40 kms et 12 h de course. 17h30 en réalité ! Nous prenons une grosse claque ! Le temps de me faire une petite toilette des pieds, d’avaler un petit rougail saucisses et je repars motivé, pressé d’en finir. Il n’y a pas de temps à perdre !
Après avoir traversé la rivière des Galets en mode équilibriste, je fais un bout de chemin avec Bernard, un réunionnais qui rentre du boulot. Il vient de creuser 2 tombes dans l’après-midi, il travaille au service funéraire du village. Il monte facile, sans essoufflement, alors que je respire fort. Il me raconte ses participations au Grand Raid, ses podiums dans la catégorie vétéran, puis m’invite à boire un coup chez lui pour me montrer ses trophées. Je refuse poliment car je souhaite rester concentré sur ma course. Maintenant je regrette, j’aurais du accepter, je n’étais pas à 1/2h près, surtout quand on connaît le résultat. A la nuit tombante, je décide de faire un petit somme dans un champ de canne à sucre coupé qui a l’air bien confortable. Je ferme les yeux 20mn et laisse filer Marta et Giovanni un couple d’italiens avec qui j’ai sympathisé. Une petite pluie fine commence à tomber et m’incite à vite reprendre la route. Les coureurs du trail de Bourbon (93 kms), nous rejoignent sur cette dernière partie du parcours. Ils sont un peu plus frais et donc plus rapides. Je me fais doubler en permanence. Je tente de réconforter un raideur râleur pour qui rien ne va. Je le laisse rapidement car il me saoule à tout critiquer, alors que je cherche à rester positif. Je décide d’être de plus en plus prudent dans les descentes – et même sur le plat – pour ne pas risquer une chute et la 3ème luxation de l’épaule de l’année. Je reste concentré sur l’objectif n°1: finir ce Grand Raid.
Gros coup de barre à l’arrivée à Possession vers 23h ! Je récupère un carton dans les poubelles pour m’allonger et m’endort profondément. Je me réveille un peu plus tard, sans savoir si j’ai dormi 45mn ou 1h45 ! Je vais demander au pointage à quelle heure je suis arrivé. 45mn finalement, ouf ! Je me ravitaille et veux faire le plein de ma poche à eau, mais l’embout du tuyau casse (tout neuf, grrr…). On me donne une grande bouteille d’eau pour le remplacer. Je repars et m’engage sur le Chemin des Anglais, fatigué mais confiant et persuadé que la fin du parcours va être plus facile ! Grosse, très grosse erreur d’appréciation ! Ma lampe frontale commence à faiblir, j’attaque la 3ème nuit et j’ai oublié de prendre mes piles de rechange dans mon sac au Maïdo. Ce Chemin des Anglais est un véritable enfer ! Dans les montées ça peut aller, mais je gère très mal les descentes. Je cherche en permanence le meilleur passage. Je manque clairement de lucidité. Les pierres volcaniques que j’avais imaginées plates et bien agencées, sont en fait posées dans tous les sens. Je me retrouve souvent seul sur ce sentier. J’entends au loin un super concert reggae bien pêchu, mais impossible de savoir d’où vient la musique. J’ai l’impression que le stade de La Redoute est tout près, prêt à m’accueillir ! J’hallucine complètement, je suis encore bien loin du but !
A Grande Chaloupe, je me ravitaille et décide de dormir encore un peu sur un trottoir. Je sombre pour 45 mn de sommeil inconfortable mais réparateur. A mon réveil, HP et Lætitia viennent d’arriver. Nous repartons ensemble pour attaquer la 2nde partie du Chemin des Anglais et la montée – la dernière, enfin – vers Colorado. Je monte bien en discutant avec HP. Surpris de ne pas l’entendre, je me retourne. Il n’est plus avec moi, il s’est arrêté, épuisé par le relief et mon débit de paroles ! Il parle avec Karl, ou plutôt avec son fantôme. Pendant ce temps, Lætitia s’envole vers le sommet, impressionnante de facilité !
A Saint-Bernard, je suis de nouveau bien cuit. Je décide de faire une dernière petite pause sur le banc d’un abribus qui a l’air bien accueillant. Je me glisse dans ma couverture de survie, à l’abri du vent, après avoir retiré mes Brooks. Je gémis de plaisir tellement je suis bien ! Ce qui a bien fait rire mes camarades après coup. HP me rejoint encore une fois alors que je suis sur le départ. Lætitia, qui doit être arrivée au sommet, essaie en vain de l’appeler, mais l’iPhone 6 – le top de la high-tech pourtant – se montre récalcitrant en refusant de décrocher. Je tente un truc avec le film de protection d’écran pour réparer… Rien à faire, je suis en vacances, fatigué, inapte au travail !
Au sommet du Colorado, je décide de prendre mon temps alors que HP est plutôt pressé de retrouver sa femme dans la descente. Je le laisse filer, car il sera plus rapide que moi, j’ai l’intention d’être hyper prudent et d’appliquer les bons conseils de maman ! Il paraît que cette descente est glissante ! Certes, elle l’est, mais aussi bien agréable car le soleil est bien présent et je suis accompagné de raiders bien sympathiques. Arrivé en bas, les 2 pieds posés sur le sol bien plat, au niveau du pont, il n’y a plus de pierres, plus de racines ! Je me remets à courir comme un Fou. Je vais tellement vite – un bon petit 15 km/h – que je ne vois pas Karl et Richard sur le bord de la route. Karl me prend en chasse avec sa caméra jusqu’à l’entrée du stade de La Redoute. Le speaker se retient de répéter les 2 ou 3 jurons que je ne peux m’empêcher de lâcher en passant seul la ligne d’arrivée, tant je suis content d’en finir. Katia, Myriam, Christine, Francine et Lucien sont là. Canal Grand Raid recueille mes 1ères impressions. Je retrouve Lætitia et HP qui sont arrivés 20 mn plus tôt. Et je peux enfin boire ma 1ère Dodo « lé la » !
Après le récit, place aux remerciements « à la Michel Drucker » ! Merci à toutes et tous pour le soutien avant, pendant et après ce Grand Raid ! A toute l’équipe des Rhumattisant(e)s: Katia et Karl, Lætitia, HP et les jumeaux Oyhana et Jean-Baptiste, Frédéric, Francine et Lucien, Christine et Richard, Myriam. A mes enfants, mes parents, mes amis, mes collègues qui ont suivi la course depuis la métropole. A tous les bénévoles sur les postes de ravitaillement, toujours super sympas et disponibles, aux organisateurs. A tous les réunionnais présents sur le bord des routes. Merci La Réunion ! Mon estomac remercie aussi les Petits Beurres LU, les TUCs, la soupe vermicelle, le chocolat noir, le Coca, le pain d’épices, les bananes, les oranges, le Yop (je n’avais jamais essayé, ça passe bien), Edena l’eau plate de Mafate, l’eau qui pique de Cilaos, le café, le thé, le rougail saucisses, les pilons de poulet bien grillés, les coquillettes, les crêpes de Sans Souci, ainsi que les gels, les barres et la boisson Meltonic sans qui rien de tout cela n’aurait été possible ! Tout est bien passé !
Pas une seule fois pendant la course je n’ai pensé abandonner, j’ai toujours été convaincu de pouvoir aller au bout, sans penser aux barrières horaires et en respectant les règles (stupides) que je m’étais fixé au départ : ne pas profiter du confort offert sur les postes de ravitaillement (pas de massage, pas de sieste dans un lit, pas de soins des pieds, juste à manger et à boire, et pour le reste je me débrouille). Mais je me suis souvent dit que sous la pluie, ça aurait été vraiment beaucoup plus difficile et que je me serais probablement arrêté (mais l’aurais-je fait ?). De même, je me suis aussi très souvent répété que c’était la 1ère et surtout la dernière fois que je participais à ce Raid de Fous, tellement difficile, beaucoup plus que ce que j’avais imaginé, à cause de la « technicité » des chemins ! Et pourtant, dès le lendemain, j’avais déjà envie de revenir. Pourquoi ? Pour revivre ces moments forts, intenses, où l’on apprend beaucoup sur soi, pour le côté égocentré de ce genre de défi. Mais aussi pour l’ambiance incroyable pendant ces 3 jours, pour ces moments partagés entre amis, entre raiders. Et enfin pour essayer de faire mieux, car je dois – je sais – pouvoir faire beaucoup mieux et gagner quelques heures. En modifiant ma préparation (du vélo et plus de randos), en me reposant plus les semaines précédant la course, en courant avec une épaule bien réparée qui me fera oublier les conséquences d’une petite chute, en investissant dans une lampe frontale plus performante (et en oubliant d’oublier les piles), en réussissant à préparer mon gâteau Meltonic au four micro-ondes avant le départ (merci Vincent pour la réponse) et en tirant les leçons de cette 1ère ultra expérience… Même si je pensais mettre un peu moins de temps je suis très heureux d’avoir pu terminer ce Grand Raid, que j’avais relativement bien préparé, tant physiquement que mentalement. Je n’ai pas fait une belle course, perdant des places au classement au fil des kms, passant de la 1000ème à la 1500ème place (il vaudrait mieux faire l’inverse), mais quel plaisir de courir – et surtout marcher – au milieu de ces paysages magnifiques ! Pour gagner du temps, il faudra aller plus vite la prochaine fois – logique implacable de la course – afin d’éviter cette 3ème nuit, vraiment difficile ! RDV en 2017, pour la 25ème édition ?
Quelques résultats de raiders connus, dans l’ordre :
Antoine Guillon, 1er au scratch, 24h17mn
Émilie Lecomte, 2ème féminine, 1ère française, 13ème au scratch, 28h12mn
Vincent Garos, Monsieur Meltonic, 392ème en 43h30mn
Annick Quirion, bigoudène nantaise, 3ème V2F, 46h05, la course parfaite « impressionNantes » !
Fredo Dodo, 1er Rhumattisant « lé la », 47h37, 691ème
Marta et Giovanni, italiens sympas, 1197 et 1198ème , 55h08
Didier Paul, couëronnais bien connu au MS Chantenay, rencontré dans la montée de Cilaos, 1282ème , 56h34
Lætitia, Rhumattisante impressionnante, 49ème V1F, 59h08mn et zéro seconde !
Henry-Paul « HP », Rhumattisant hallucinant, 1489ème, 59h08
Et moi, le dossard 1858, dernier Rhumattisant arrivant, 1509ème en 59h28
Lucien, Rhumattisant vétéran, abandon à Possession après 39h29, alors 6ème V3, plusieurs fois finisher !
Karl, Rhumattisant déçu évidemment, hors délai à Îlet à Bourse, après 31h29mn d’efforts, finisher 2008 !
Moreno, mon voisin italien dans l’avion Paris / Saint-Denis, abandon à Cilaos après 19h28mn de course
Pour finir, notre fine équipe de Rhumattisants se classe finalement 42ème sur 47 !
Pour continuer la magie je vous recommande
Zinzin reporter, immersion totale dans la course, super film de 1h17:
https://www.youtube.com/watch?v=zZe499tbNzU&list=PLQiE_Kp-FXl5jUaeIX5nclQhRq6MuKniJ&index=4
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